Extrait 1
Lorsqu’à douze ans mon regard s’enflammait au contact des photographies je les voyais objectives. Entre temps je les vis subjectives, et à 40 ans elles m’apparaissent essentiellement chronophotographiques. C’est sur ce temps photographique que je fonde mon travail, et c’est par lui avec lui et en
L’inventeur de mon histoire n’est ni Niepce ni Daguerre ou Talbot mais Herschell. Inventant le fixateur, il est le premier qui fixa le temps, rendant la durée durante (Claudel) et enfin possible la présence de l’absence (Castel).
L’histoire de la photographie n’est pas restée 150 ans dans l’oubli mais plutôt et signe des temps, son développement a duré 150 années.L ‘histoire de la photographie est l’œuvre du temps. (...)
Je n’écris pas sur la lumière parce que comme vous je sais d’évidence qu’elle est indispensable et je la considère comme éclairant le chemin qui mène au temps. Au XIXème siècle, Pierre Petit disait déjà qu’il photographiait tout seul avec l’aide du soleil (capter le temps grâce à la lumière). De plus, nous regardons le lumineux car la lumière nous aveugle …
Si j’éloigne de l’expérience chronophotographique sans les rejeter, le fond, la forme et la lumière, je dois aussi éloigner le style photographique. Faisant expérience du temps, la question de style m’importe peu. Est-il nécessaire de réduire la réalité à un style, à son style ? Le dialogue avec le réel serait aisé s’il s’agissait uniquement d’une question de style. Mais se glisser dans l’ordre caché des choses, révéler leurs apparences, demande des aptitudes autres que celles du dessin. Nous pouvons penser avec raison que c’est le photographe lui-même qui en premier est impressionné. Il ne s’agit plus du reflet mais de la traversée du miroir.
Dans ce voyage initiatique plus qu’esthétique, l’important est de regarder le temps passer, non pas de passer son temps à regarder. Dans cette quête à travers le réel, ma mémoire est mon style. La mémoire est une image, la mémoire est une image, la mémoire est l’image du temps.
Amoureux du temps, de la mémoire, j’apprécie particulièrement Saint Augustin lorsqu’il énonce les trois temps en un : il n’y a qu’un seul temps, le temps du présent – le temps du passé – le temps du futur.
Le seul plaisir de style que je m’accorde en photographie est la transmutation de la réalité couleur en une miniaturisation oeuvrant du noir au blanc. Paul Klee l’a écrit avec précision : « Le mouvement entier du blanc au noir donne une idée gigantesque entre les deux pôles, trajet couvrant toutes les étapes de la source du visible aux ultimes confins du visible ou lutte ouverte des extrêmes qui s’entrechoquent. » L’usage de cette gamme est le chemin qui mène au temps.
En reconnaissant la chronophotographie, le cadastre du Domaine de la Vision délimitera plus clairement chaque champ (de vision) et chacun saisira mieux le sens de sa destinée. Le peintre reprendra le chemin de l’espace imaginé, de l’imagination, de l’imaginaire, de l’image. Le photographe reprendra les sentiers de la Création. Son champ d’exploration n’est pas la page ou la toile blanche mais la réalité en genèse. Chaque instant est origine. Non plus saisir, capturer le hasard, mais jouer avec lui au jeu de l’apparition – disparition. (...)
Le photographe est un médium, du latin médius : celui qui est au milieu. Il est entre le ciel et la terre, comme le petit oiseau de la photo. On ne peut dire du photographe qu’il sonde l’imprévisible en errant à égale distance de l’artiste (qui pratique un art, qui a le goût du beau), du sourcier (qui possède le don de découvrir des sources souterraines), du médium enfin (qui sert d’intermédiaire entre les hommes et les esprits).
Ainsi peut-on dire que mon travail est aussi proche de l’ectoplasme (du grec ectos : dehors, et plasma : ouvrage façonné) que de l’œuvre d’art.
Voici où nous en sommes dans l’exploration de cette terra incognita et je fais volontiers halte. Pour m’avoir suivi dans cette large promenade, vous avez vu qu’au royaume du temps, la chronophotographie en est le temple, et dans ce lieu sacré un coup de dés abolit le hasard, les objets inanimés ont une âme, et bien sûr le temps a suspendu son vol.
Photographe, je possède une clef du temps. La terre est mon horloge, l’ombre ses aiguilles. Ne me demandez pas « Quelle heure est-il ? « mais » où en est l’ombre ? »
Article Art Press
Novembre 1986
Extrait
Extrait
Préface Chef-d'oeuvres des photographes anonymes
1982
Extrait